Décombres

Porcelaine

Tout semble figé, abandonné, détruit. Quelles mains ont façonné ces ruines illusoires drapées de kaolin, cités vacillantes aux vertèbres érodées ? Quel séisme a allongé les poutres sur l’horizon, édifié ces déchirures, épargné de rares verticales ? Est-ce la cendre irradiante d’Hiroshima ou de Nagasaki, un cyclone, une guerre ? Vestiges d’une hypothétique civilisation, d’étranges architectures, labyrinthiques et translucides, se développent dans un appareil architectural illogique. Elles semblent issues d’un organisme minéral complexe, sensible au moindre souffle, fragile vaisseau échoué dans l’infinitude de blancheur. Qu’une mouche s’y pose et les pans de porcelaine s’écroulent subitement, délabrés. D’entre les trouées s’échappent de rares nuées lumineuses, béances rythmant les pans livides. Des interstices chaotiques surgissent des langues de lumière qui s’agrippent aux rebords laiteux puis s’évaporent. Etranges décombres pétris de failles. Béances et brindilles équilibristes posées sur des blocs vacillants dévoilent l’humanité sous-jacente…des êtres ont vécu dans cet affaissement diagonal, traversé l’orage blanc géométrique, provoqué ce chaos. Parfois apparaît un minuscule personnage immobile, dévoilant l’attente irréversible la détresse d’une humanité perdue, celle des victimes de conflits ou de catastrophes. Et si tout cela n’était qu’un songe d’insecte, un délabrement virtuel, évocateur d’une fissure existentielle?

Evelyne Boinot